Deux coqs vivaient en paix: une poule survint,
Et voilà la guerre allumée.
Amour, tu perdis Troie ; et c’est de toi que vint
Cette querelle envenimée
Où du sang des Dieux même on vit le Xanthe teint.
Longtemps entre nos coqs le combat se maintint.
Le bruit s’en répandit par tout le voisinage,
La gent qui porte crête au spectacle accourut.
Plus d’une Hélène au beau plumage
Fut le prix du vainqueur. Le vaincu disparut:
Il alla se cacher au fond de sa retraite,
Pleura sa gloire et ses amours,
Ses amours qu’un rival, tout fier de sa défaite
Possédait à ses yeux. Il voyait tous les jours
Cet objet rallumer sa haine et son courage;
Il aiguisait son bec, battait l’air et ses flancs,
Et, s’exerçant contre les vents,
S’armait d’une jalouse rage.
Il n’en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits
S’alla percher, et chanter sa victoire.
Un vautour entendit sa voix :
Adieu les amours et la gloire;
Tout cet orgueil périt sous l’ongle du vautour
Enfin, par un fatal retour
Son rival autour de la poule
S’en revint faire le coquet :
Je laisse à penser quel caquet;
Car il eut des femmes en foule.
La fortune se plaît à faire de ces coups;
Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.
Défions-nous du Sort, et prenons garde à nous
Après le gain d’une bataille.
Jean de la Fontaine
Livre III, fable 12
En français ancien
Deux Coqs vivoient en paix; une Poule survint,
Et voila la guerre allumée.
Amour, tu perdis Troye; & c’est de toy que vint
Cette querelle envenimée,
Où du sang des Dieux mesme on vit le Xante teint.
Long-temps entre nos Coqs le combat se maintint.
Le bruit s’en répandit par tout le voisinage.
La gent qui porte creste au spectacle accourut.
Plus d’une Helein au beau plumage
Fut le prix du vainqueur; le vaincu disparut.
Il alla se cacher au fond de sa retraite,
Pleura sa gloire & ses amours,
Ses amours qu’un rival tout fier de sa défaite
Possedoit à ses yeux. Il voyoit tous les jours
Cet objet rallumer sa haine et son courage.
Il aiguisoit son bec, batoit l’air & ses flancs,
Et s’exerçant contre les vents
S’armoit d’une jalouse rage.
Il n’en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits
S’alla percher, & chanter sa victoire.
Un vautour entendit sa voix:
Adieu les amours & la gloire.
Tout cet orgueil perit sous l’ongle du Vautour
Enfin par un fatal retour
Son rival autour de la Poule
S’en revint faire le coquet:
Je laisse à penser quel caquet,
Car il eut des femmes en foule.
La Fortune se plaist à faire de ces coups;
Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.
Défions-nous du sort, & prenons garde à nous
Apres le gain d’une bataille.
Jean de la Fontaine
Livre III, fable 12
Sources
La Fontaine, Jean de, Fables choisies , mises en vers par M. de La Fontaine, 3e partie, Ed. D. Thierry et C. Bardin (Paris), 1678, 222 p.